11 Mai 1809 – Cabrera. L’armée espagnole vient de nous abandonner à notre sort. L’accord signé était de nous rapatrier en France (après avoir perdu la bataille de Baylen, Andalousie). Nous sommes 400 officiers et 4500 soldats. Les conditions sont cruelles: Aucun bâtiment, nous sommes exposés au soleil et aux intempéries. Absence de terre cultivable. Manque de nourriture et d’eau.
Nous sommes mourants. J’assiste à des événements horribles: épisodes de folies, bagarres, tortures, épidémies et cannibalisme. Nous sommes des morts vivants, avec des comportements indignes d’un être humain avec un seul but: survivre. Déjà 100 morts en seulement 8 jours.
21 juin 1809 Nous arrivons à Mahon et débarquons sur l’ile du Roi dans le port de Mahon. Nous sommes toujours prisonniers français de l’armée napoléonienne, mais heureux d’échapper à l’agonie de Cabrera. Nous sommes 170 officiers.
10 Juillet 1809 Lazaret de Mahon. Le gouverneur de l’ile, Monsieur Babelen nous traite avec respect, nous avons des vivres en quantité suffisante.
10 Novembre 1809 Babelen, jugé trop clément avec nous est démis de ses fonctions. Changement de traitement en notre défaveur: hausse du prix des aliments basiques comme le pain, interdiction d’envoyer notre correspondance à nos proches en France. Et les baignades dans le port sont désormais interdites: Dommage, c’était notre moment de liberté.
Janvier 1810 Los rumeurs laissent croire qu’un éventuel échange de prisonniers entre l’Espagne et la France serait possible. Fausse alerte, nous restons à Mahon.
1er Mars 1810 les Minorquins de tous les villages manifestent en masse. C’est la “ révolution minorquine” D’après ce qu’on a pu savoir, c’est la crise à Minorque avec des mauvaise récoltes, la suppression du statut de port franc (pas de frais de douanes) pour le port de Mahon. Les minorquins sont mécontents du traitement infligé par le gouvernement espagnol. Et ils ne veulent plus payer le coût élevé de manutention relatif à notre présence.
2 Mars 1810 Après deux jours de chaos sur l’île, le gouverneur, Luis Gonzaga de Villava y Aybar concède plusieurs mesures en faveur de la population locale. Victoire des minorquins.
Je crois que nous n’avons pas saisi l’impact qu’aurait la révolution minorquine pour nous. En effet. Tous les Espagnols (de la péninsule) et étrangers sont expulsés (sauf quelques exceptions) ont 15 jours pour quitter l’île. J’ai l’espoir que nous pourrions être envoyés en France. Nouvelle désillusion.
Notre nouvelle destination sera soit les iles Canaries, soit l‘enfer de Cabrera. C’est la deuxième option. Jamais je n’oublierai le jour ou nous quittâmes le port de Mahon pour revenir à Cabrera. Un sentiment de terreur m’envahit, je sais que le pire est devant nous.
Là-bas, la prison, c‘est la propre île. C’est une prison naturelle. Notre destin parait écrit: Faim, soif, souffrance et mort. J’ai aussi appris une leçon: Le pire de la guerre ne se vit pas toujours sur le champ de bataille. Adieu Mahon.
* Seulement 3600 personnes survécurent sur les 9.000 prisonniers qui transitèrent par Cabrera. Les derniers prisonniers quittèrent l’île pour la France en 1814. Cabrera fut reconnu par les historiens comme le premier camp de concentration de l’histoire.
** Le Lazaret de Mahon commença son activité comme centre de quarantaine le 1er septembre 1817.
*** Le 29 juillet 1810, les officiers présents à Cabrera furent envoyés en Angleterre. Quelque mois plus tard, ils purent revenir en France.
Basé sur une histoire vraie. Adapté de la narration de Joseph Carrère Vental, officier français “Mémoires d’un officier français prisonnier” édité en 1823.